YANKEL

Jacques Yankel, pseudonyme de Jacques Kikoïne, est né le 14 avril 1920 à Paris et mort le 2 avril 2020 à Aubenas (Ardèche), à presque 100 ans.

Il est peintre, sculpteur et lithographe français de la seconde Ecole de Paris.

Il est le fils du peintre Michel Kikoïne (1892-1968).

« Pour certains artistes, l’art est une galère, une souffrance, pour moi ce fut un émerveillement permanent. Sortir de soi, faire surgir un jour ce qui était camouflé, planqué quelque part, c’est un grand mystère magique qui n’a pas fini de me hanter Il vous ferait croire à Dieu. » dans « Yankel » Ed. de L »amateur, 1994, p. 42

« Sur la toile un jour sont apparues ces grandes balafres noires … Je ne m’y attendais pas, je les avais bien entrevues par ci, par là, zébrant un coin de tableau, mais je n’y avais pas prêté attention … Je pensais naïvement que cela passerait, qu’on reviendrait à des choses sérieuses … » dans « Yankel, peintures 1990-2000 », 1999, p. 2

INCARNER LE VIVANT

« La vie et l’œuvre de Yankel, à l’analyse de son parcours, se rejoignent. Il n’est pas opportun de retracer méthodiquement son cursus, puisqu’il l’a fait mieux que personne avec humour et concision, mais d’en survoler quelques périodes, d’en affiner la synthèse.

Né à Paris dans une famille d’émigrés sans ressources, il vit son enfance et son adolescence à la Ruche, auprès d’un père, Kikoïne, lui-même peintre, aujourd’hui largement reconnu.

Très vite il se met à peindre puis fréquente sporadiquement l’Ecole des beaux-arts et travaille à l’imprimerie Draeger.

Après la guerre et l’obtention d’une thèse de doctorat en géologie, le ministère des Colonies l’envoie en mission au Mali, ancien Soudan français (à Gao, il se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre), afin de creuser des puits pour les Touareg.

En 1952, de retour à Paris, ayant délaissé le service public, il s’adonne complètement à la peinture et commence peu à peu à exposer à Paris et à l’étranger, tout en continuant de sacrifier à sa passion des voyages. Désormais, son œuvre parvenue graduellement à maturité, il n’en finit pas de traquer les images et les émois qui traversent son existence.

En toutes circonstances, dans la rue, au Japon, aux Etats-Unis, en Afrique ou à Tahiti, il observe le spectacle du monde de son œil gourmand, éternel curieux, continuellement émerveillé par les objets les plus humbles, les paysages les plus insolites.

Ennemi de l’hypocrisie, ami de ses amis, fidèle à lui-même et à ses engagements, épicurien, amoureux du beau dans toute l’acception du terme, il se montre tolérant, mais s’assigne des limites. Disert, chaleureux, à l’écoute de l’interlocuteur le plus anonyme, libre penseur, parfois truculent, solitaire cultivant la bonne compagnie, il apprécie les plaisirs simples.

Homme de culture, pédagogue clairvoyant – ses élèves de l’Ecole nationale des beaux-arts ne l’ont pas oublié- il lui arrive d’être frondeur, de feindre l’innocence, et de manier la dérision avec un cynisme bienveillant.

Collectionneur impénitent d’œuvres naïves, appellation qu’il réfute, de masques et d’objets africains, d’ustensiles voués au rebut, d’artistes contemporains, il est cet homme aimé et estimé, pudique et extraverti, sur lequel l’âge n’a pas de prise, qui donne à chaque rencontre sa valeur incessible.

Au carrefour de plusieurs cultures, fruit d’une expérience de vie riche et tumultueuse, son itinéraire artistique réverbère une étonnante fraîcheur d’expression rehaussée d’accents baroques, qui confèrent à sa syntaxe tantôt une dérive légèrement dramatique, tantôt une empreinte nostalgique, mais toujours une joie de peindre nostalgique, mais toujours une joie de peindre tonifiante. Yankel a choisi de cerner l’enveloppe des choses et de sonder leur intériorité, parce qu’il souhaite s’exprimer dans une liberté maximale, se fiant peu aux étiquettes  et aux galonnages indus.

Dans les années 70, deux ans après le décès de son père, il s’appuie sur la littérature dans le but de la transposer et de la parodier en adoptant à ses visées la Thora et La fiancée juive. Il peint aussi des galets incorporés à des dalles de ciment et exécute des projets destinés à l’architecture. Les couleurs sont ardentes, les formes nervurées, les cadences allègres, comme ne manquent pas à l’inventaire la multiplication syncopée des saynètes sur la même toile, ni les reliefs adjacents.

De 1975 à 1980, il peaufine la courbe de son graphisme, jouant avec efficience des non-couleurs pendant que sa peinture ne néglige pas la nature morte ou les intérieurs aux fortes consonances et aux partages régulateurs.

Les années 80 voient s’affermir, dans son atelier ardéchois, son goût pour les assemblages d’objets hétéroclites, communs ou détonnants, sur toile ou sur papier, qui entretiennent un discours unitaire centré sur la capacité de transformation des choses ordinaires. Avec la même verve, entre 1985 et 1990, il insiste sur les virtualités du trait et leur étroite complicité avec les masses de couleur incisées de personnages linéaires.

L’univers, ses contradictions et ses métaphores aimantent en permanence l’œil inquisiteur jamais assouvi de Yankel, qui, pendant les années 90, expérimente sans relâche le champ opératoire qui s’offre à ses sens et à son entendement, pour les mouler dans sa relation obsessionnelle au réel. Il peint vite, à l’huile de préférence, comme il le confesse, s’il devait mourir le lendemain.

« On vit, renchérit-il, et on peint sans savoir », mais on pourrait commenter, pour savoir, car l’être est toujours « en route vers lui-même ».

Sur un versant contigu, comment ne pas s’arrêter brièvement sur la production que Yankel creuse et étoffe de longue date : ses reliquaires, ses assemblages ou ses ex-voto. Il y libère son imagination, en élisant poétiquement des objets prélevés au folklore artisanal, industriel ou urbain, qu’il débusque dans des décharges publiques, des greniers ou des brocantes. Des objets hors d’usage, dont il affectionne les tournures et les patines, qu’il dispose, enchâsse, décale, déboîte, et enfin soude sur des supports de bois ou de métal, de temps à autre grillagés ou peints, quadrangulaires ou semi-circulaires. Nous avons là un matériau vivant, kitsch dans sa symbolique et ses arrangements réfléchis, qui ont l’air de fonctionner comme une entreprise de sauvegarde de la culture populaire. Tout réside dans la manière de découper et de jumeler ces objets, de les départir et de les ordonner, en exploitant leurs différences, au-delà d’une volonté décorative et d’une quelconque tendance anecdotique. Objets détournés et réhabilités qui revêtent des allures de machines à rêver.

Au terme de cette chronique intime et fraternelle, qui forme un tout indissociable, chaque période fécondant l’autre, se révèle le visage d’un artiste insoumis et inventif, tour à tour romantique et constructeur, un peu sorcier et volontiers rationnel, dont les paradoxes assumés renvoient à sa revendication existentielle : incarner le vivant. »

Gérard XURIGUERA, 1984

Yankel, Les Editions de l’amateur

 

COLLECTIONS PUBLIQUES :

France

Église romane Sainte Marie-Madeleine de Balazuc, vitraux.

Fondation Jeanne-Matossian, Musée des Beaux-Arts de Chartres.

École nationale supérieure des beaux-arts, Paris, Sans titre, technique mixte collage, encre de Chine et gouache, 1996.

Musée d’art moderne de la ville de ParisPigalle la nuit, aquarelle ; Saint-Germain-des-Prés, lithographie ; Port, lithographie.

Musée Sainte-CroixPoitiers.

Musée des Augustins de Toulouse.

Israël

Musée Helena Rubinstein, Tel Aviv.

Suisse

Musée de l’Athénée, Genève.

BIOGRAPHIE :

Alors que, cinq ans après sa sœur Claire, il naît à l’hôpital Boucicaut à Paris du mariage de Michel Kikoïne et Rosa Bunimovitz – acceptant mal cette naissance, Kikoïne avait, en compagnie de Chaïm Soutine, fui à Cagnes-sur-Mer peu avant l’accouchement, abandon d’une durée d’un an que Rosa ne lui pardonnera pas malgré le sens paternel très développé qui suivra2 -, Jacques Yankel passe une jeune enfance précaire dans la cité d’artistes de la Ruche, au 2, passage de Dantzig dans le 15e arrondissement, qui est demeuré le lieu d’habitation de la famille Kikoïne de 1912 à 1926. Il y grandit entouré de sa famille et des œuvres d’art jusqu’à son entrée à la maternelle.

En 1926, Michel Kikoïne fait l’acquisition d’une maison à Annay-sur-Serein (par quoi Yankel demeurera lié au département de l’Yonne), puis en 1927 la famille quitte La Ruche pour s’installer à Montrouge (rue de Gentilly) – « mes mauvaises fréquentations rue de Gentilly auraient pu faire de moi un vrai malandrin » évoquera Yankel – avant de revenir – « la misère a provoqué notre départ du bel atelier de la rue de Gentilly » se souviendra-t-il encore2 – dans le quartier Montparnasse (7, rue Brézin) en 1933.

Sa scolarité est déplorable et il sera refusé à l’École des arts appliqués et aux Beaux-Arts de Paris. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il occupe des emplois temporaires en imprimerie et atelier de gravure. En 1941, il emménage à Toulouse, en zone libre, et devient assistant géologue. Il épouse Raymonde Jouve la même année, Michel et Rosa Kikoïne franchissant clandestinement et séparément la ligne de démarcation afin d’être présents. Il poursuit ses études et soutient brillamment un diplôme d’études supérieur en géologie à la faculté des sciences de Toulouse. En 1946, naît sa fille Dinah Kikoïne. Il participe épisodiquement en peintre amateur au groupe du Chariot avec les artistes Jean Hugon, Michel GoedgebuerBernard Pagès, Christian Schmidt, André-François Vernette et Jean Teulières.

En 1949, il est engagé par le ministère des Colonies pour la carte géologique de GaoTombouctou-Tabankort en Afrique-Occidentale française. De cet épisode, il gardera un goût certain pour l’art africain dont il deviendra un collectionneur. L’année suivante, il rencontre inopinément Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre à Gao. Ce dernier l’encourage à se tourner vers la peinture.

En 1952, il retourne habiter à Paris, se réinstallant à La Ruche, et fait ses débuts de peintre à la galerie Lara Vinci, rue de Seine. En 1954, en parallèle de sa soutenance de thèse en géologie à la Sorbonne, il expose ses œuvres à Paris et Mulhouse. En 1955, il connaît ses premiers succès en tant qu’artiste. Il gagne le prix Neumann qu’il partage avec Réginald Pollack, le 1er prix de la Société des amateurs d’art, ainsi que le prix Fénéon, se resituant lui-même ainsi : « à Paris, l’époque est au misérabilisme et je suis misérabiliste comme mes amis d’alors, Orlando PelayoJean JansemFrançois Heaulmé… La nouvelle école de la Ruche est constituée de Paul Rebeyrolle, Simone Dat, Michel ThompsonMichel de Gallard, qui pratiquent un réalisme expressionniste influencé par Constant PermekeBernard Lorjou et Francis Gruber, et au fond assez voisin de notre travail de l’époque ».

De 1957 (année qu’il associe à sa première exposition à la galerie Romanet et à l’influence de Nicolas de Staël sur son œuvre) jusqu’à 1959, il continue d’exposer et voyage au Maghreb, aux Baléares, à Genève et en Israël. En 1960, il se marie avec Jacqueline Daneyrole à Labeaume où il élit domicile. De 1961 à 1965, il expose à Paris, en Israël et à Amsterdam. En 1966, sa mère Rose Kikoïne meurt. En 1967, il part précipitamment en Israël pour la guerre des Six Jours. Il débarque le sixième. Il s’engage volontairement au kibboutz Zikhron Yaakov et Maayan Zvi et y travaille trois mois.

Son père Michel Kikoïne meurt en 1968, année où il est engagé comme professeur d’art plastique par des étudiants à l’École des beaux-arts de Paris afin de succéder à Raymond Legueult, démissionnaire. Installé au 3, rue de la Cité-Universitaire, il poursuivra jusqu’en 1985 cet enseignement que l’on associe historiquement à l’émergence du mouvement Vohou-vohou, parti d’une vague d’étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts d’Abidjan venus poursuivre leurs études dans son atelier , pour être de novembre 1985 à janvier 1986 le commissaire de l’exposition Arts africains – Sculptures d’hier, peintures d’aujourd’hui organisée à l’initiative de l’A.D.E.I.A.O. au Musée des arts africains et océaniens de Paris.

Parallèlement, il continue à exposer durant les années 1970. En 1978, il participe à la réalisation des décors de la pièce Othello de Shakespeare montée par Georges Wilson. Il commence à travailler avec la galerie Yoshii à Tokyo et Paris.

En 1987, il se marie avec Lidia Syroka et expose à Anvers. Il effectue cette année-là la première donation de sa collection d’art naïf au Musée des arts naïfs et populaires de Noyers-sur-Serein. La seconde donation aura lieu en 2018.

En 2019, Jean-François Lacour, éditeur de Jacques Yankel, témoigne : « Il va avoir cent ans en avril 2020, et ce qui est étonnant, c’est sa jeunesse : il peint, il dessine et parle de l’art comme un enfant ».

 

 

 

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